Petites morts et autres danses macabres 3
La dernière valse
S'il y a quelque chose que n'aimait guère faire Jojo, ce grand pacifiste, c'était bien de danser... Ni bobo, ni coco, Jojo n'était pas toujours jojo car il faut bien le dire, tout n'est pas cirrhose dans la vie... Mais quel drôle de zozo ce Jojo !
Chaque week-end, le Bastringue du centre, le bistrot de la rue principale faisait bal du samedi soir. Et chaque samedi soir, Jojo ne ratait jamais le rendez-vous, lui qui avait la danse en horreur. A 18 h pétantes, il était déjà là, installé au comptoir. Un vrai survolté en survêt' qui attendait que la fièvre monte ! En attendant c'était la pression qu'il faisait monter, l'ami Jojo. Il s'entraînait sur les demis qu'il colorisait avec des sirops pour rester entier. Un p'tit coup de grenadine dans la Kro' et hop ! Il s'envoyait un p'tit Tango. Un zeste de citron dans la Kanter' et en avant pour un Twist ! Et le meilleur selon lui, une larme épaisse et sirupeuse de menthe dans la Valstar et le voilà parti pour une Valse !
Mais tous ces petits mélanges mousseux n'étaient qu'amuse-gueule. L'attente de la danse. Des autres se déhanchant, se démantibulant frénétiquement sur la piste. Lui, il resterait là, humble parmi les humains, à surveiller le zinc, dès fois qu'il s'envolerait ce vieux coucou ! Pas de risque, il veillait au houblon. Il le soutenait comme un vrai pilier de bar asymétrique.
A vingt heures, un DJ ou un orchestre local venait enfin pour animer le bal. Et là, c'était parti pour de bon pour Jojo qui en avait déjà un bon coup dans la musette. Il dansait de l'index et du majeur sur le formica du comptoir. Un déhanchement de virtuose, qui dose tout comme il faut.
Dès les premiers accords ébruités, ses papilles éthyliques se mettaient en transes musicales. Ses oreilles en coin détectaient au quart de tour, tel un signal automatique, la danse qui allait suivre. Et ni une ni un, il commandait le cocktail maison qui correspondait à la danse alors proposée. Car Le Bastringue du centre avait eu la bonne idée de créér, pour les zozos dans le genre de Jojo, toute une gamme de cocktails portant chacun le nom d'une danse.
Ce samedi soir là, un DJ quadragénaire était venu, remplaçant alors le petit jeune habituel qu'avait eu un contrat à Megève pour la saison hivernale qui s'ouvrait alors. On allait certainement se taper de la bonne vieille daube des eighties ! Jojo se réjouissait d'avance de tant de festivités ! Et il eût le nez fin, bien que déjà drôlement entamé...Qui est bien aviné a su bien deviner...
Un rythme typique des années 80 démarra et il entendit ces paroles... très lyriques :
Mad mad madison, sonne sonne sonne,
car la musique est bonne bonne bonne,
et Mad mad mad madisooonnnn
Et presto illico, il commanda à Jacky :
-Un Madison ! Et un !
Puis il enchaîna ensuite avec :
Danse danse le rock and roll roll roll
c'est barjo cette musique folle folle folle
on en perd ces rock and grolles grolles grolles
Nos blue suede shoooes !
-Jacky ! Un whisky ...on the rock !
Il s''ensuivit également :
Go go go ça tangue go go go
Debout les gogos go go
oh ça tangue go go les gogos...
-Et un Tango Jacky ! (là, il revenait exceptionnellement sur la mousse).
Et comme ça jusqu'au bout de la nuit... Jusqu'à écumer la carte des cocktails dansants.
Avec des pauses obligatoires... Tant de liquides exigent de nombreuses vidanges...
Au fond du couloir à gauche et surtout attention à la marche !!!
Jojo restait jusqu'au bout de la nuit et terminait aussi rond qu'une ronde... Il était prêt à entamer une capucine ou n'importe quelle farandole ! Mais déjà, le DJ rangeait précautionneusement ses platines dans leurs étuis ouatés. Jojo était prêt à s'écrouler sur le bar. Mais tout de même, il avait gagné : Vinyl, vidi, vici.
Car s'il n'en restait qu'un...
Alors Jacky qui avait l'habitude - les samedis soirs ça revient quand même toutes les semaines - et qui voulait jeter Jojo dehors amicalement, ne manquait pas de lui proposer :
-Un dernier pour la route Jojo ?
-Aahhh...???
-Un dernier pour la route Jojo ?
(Jojo lui répondais alors en chantant)
"Ami remplis mon verre
Et même six pieds sous terre,
Encore un et je vas
encore un et je vais..."
-Ouais c'est ça Jojo, laisse aller c'est une valse...
Merci à Yves Pasdelou pour l'illustration et ce portrait d'un bel affreux Jojo !
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