CHIEN 16

2 février 2009

DORI PLANE (ou l'effet doliprane...)

dori

Certains se souviendront peut-être – et là je parle d'un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître – de Laïka la petite chienne soviétique qui fut le premier être vivant à voyager dans l'espace.

A propos, saviez-vous que le Laïka est une race de chien? En effet, Laïka vient du mot Latiji qui signifie aboyer. Ce chien qui est un chien de chasse a été dénommé ainsi car lorsqu'il a trouvé le gibier terrassé, il aboie jusqu'à ce que son maître chasseur arrive. Contrairement à ce que l'on croit, si Spoutnik 2 , dans lequel était enfermée la pauvre Laïka, a pété en plein vol orbital, ce n'est pas à cause d'un problème technique. En fait c'est parce que Laïka avait trouvé dans sa capsule une petite souris grise qui avait embarqué clandestinement. La pauvre chienne soudain toute excitée, l'a prise pour une proie, un futur trophée de chasse glorieuse. Elle l'attrapa sans mal, l'habitacle étant plutôt exigu, et s'est alors mise à aboyer. Or, comme son maître n'a jamais pu arriver – il n'était pas cosmonaute – elle n'a eu de cesse d'aboyer, de pousser des hurlements sans fin, des cris déchirants et si intenses que tout a fini par exploser dans une déflagration détonnante qui donnait à peu près ça en version originale :

PAVLOV !!!

Donc, Laïka qui périt tragiquement dans la stratosphère aurait été la toute première chienne à connaître l'exotisme d'un vol spatial. La première ? Faux. Car beaucoup doivent ignorer – et là je m'adresse à tout le monde – qu'en France, bien avant Laïka, on avait offert une expédition intersidérale à une chienne, Dori. Certains savaient peut-être que la France avait envoyé des animaux dans l'espace pour de simples vols suborbitaux comme le fameux rat Hector, lancé par la fusée sonde Véronique (le 21 février 1961 depuis la base d'Hammaguir). Mais bien avant de faire des expériences de la sorte avec des souris et des hommes, les ingénieurs français, malgré un manque réel en matériel biologique, ont bel et bien lancé Dori, mon aïeule. Car avant de jouer aux chevaliers du ciel, aux scaphandriers du cosmos, Dori avait eu le temps de mettre bas lors d'un concert de cloches ovines, un soir de juillet, alors qu'elle devait compter les moutons rentrés au bercail. Et de cette portée musicale, survécurent trois minuscules chiots. A force de têter jour et nuit, ce trio de gringalets prit force et vigueur. Chacun grandit et eût sa vie, d'un adret à l'autre. L'un d'eux était mon arrière-arrière grand chien.

Car il faut vous dire que Dori était une chienne sans histoires, issue d'une haute lignée de bergers des pyrénées et de labrits méridionaux aux longs et soyeux poils frisés. Elle fut sélectionnée lors d'un concours scientifique organisé par le CANES, le Centre Astronautique National d'Expérimentations Spatiales. Star d'un jour, étoile pour toujours, elle fut choisie pour ses nombreuses qualités, son intelligence particulièrement aiguisée pour un chien, sa docilité extraordinaire, la douceur qu'il y avait dans son sourire et qui émanait de sa langue béante et pleine de bave. Elle inspirait forcément confiance aux hommes. De plus, à force de vivre en altitude au coeur du massif pyrénéen, puisqu'elle gardait les moutons sur les hauts patûrages chaque été durant, elle avait développé une cage thoracique qui lui permettait de respirer même en milieu hostile, dans des conditions atmosphériques où l'oxygène est raréfié, voire dégénéré.

Nous sommes fières dans la famille d'être les descendants d'une telle héroïne. Nous sommes sa mémoire. Car tout le monde l'a oubliée. Que retient-on de l'histoire spatiale? Les hommes égoïstes ne voient qu'eux. le seul événement digne d'intérêt selon eux, ce sont ces trois hommes qui ont marché sur la lune, qui ont foulé le sol des sélénites imaginaires pour ne ramener que poussière d'étoile. Qu'ont-ils appris ? Rien. On savait déjà tout de la lune, pas besoin d'y aller. Les Newton, Laplace, Kelvin, Harris et autre Poincaré ont gardé les pieds sur terre pour percer le mécanisme des marées et découvrir que la lune en était la reine révolutionnaire. Tout le monde savait qu'elle a son calendrier et qu'elle a une influence au préalable mystérieuse sur les êtres vivants, sur les éléments de notre planète. La pleine lune empêche certains de dormir, d'autres suivent ces mouvements pour planter leurs choux et leurs radis...Les hommes se sont donc payés un voyage sur la lune pour le plaisir, pour le tourisme, pour le fun et la gloire. Mais sans Dori, sans Laïka qu'on a quasi oubliée aussi, les hommes n'auraient pas connu ces plaisirs de navigation spatiale. Hélas, ces pauvres chiennes n'étaient que des cobayes, considérées comme des objets qui avaient le seul avantage d'être animés, de respirer, manger et boire.

Pas de médailles donc, pas de croix de légion pour ma pauvre Dori. On l'a tout simplement jeté aux oubliettes, avec les rats. Il faut dire que l'opération Dori Plane, menée alors par la France était ultra-secrète. Et lorsque, le gouvernement américain a découvert le pot aux roses, grâce à ses espions esssaimés un peu partout sur la planète bleue, la France s'est fait tirée les oreilles, comme un desperado pris sur le fait par le Marshall. Elle était une hors-la-loi, la guerre des étoiles ne la concernait pas, son hexagone minuscule ne pouvait faire bloc face aux deux continents Est et Ouest, soviétique et américain.

Tout comme pour Laïka, le voyage à travers les âges et les étoiles , fut le dernier pour ma pauvre Dori. On avait sous-estimé son intelligence. Aussi réussit-elle à actionner les manettes commandant et dirigeant son vaisseau. Elle mit alors fin au rythme de croisière qu'on lui imposait pour appuyer sur l'accélérateur. La vitesse l'enivrait. Elle ne se rendait plus compte du danger et, comme dans un jeu vidéo, elle évitait les différents amas diamantaires et, les météorites en forme de patate, slalomant à vive allure. Ce qui devait arriver arriva donc. Elle ne put éviter une collison fatale avec un embryon stellaire.

Mais je sais qu'elle veille encore sur nous, tout en haut, par delà les nuages. Chaque soir, lorsque je rentre les moutons dans la bergerie, à ce moment que l'on dit être entre chien et loup, je vois cette lumière scintillante dans le ciel qui me fait signe. C'est sa bonne étoile qui me sourit, l'étoile du berger.