Milou en Mai

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Ce moi de mai devait être l'un des plus chauds depuis bien des décennies. Non, détrompez-vous, je n'évoque en rien ici de météorologique, ni anticyclone épique ni pic caniculaire – il pleuvait plutôt des pavés – mais plutôt une marée montante qui gronde, une surchauffe humaine telle que ça pétait un peu partout dans la capitale de façon capitale. Et moi Milou, pauvre petit chien perdu sans collier dans ce foutoir humain, j'étais comme qui dirait tintin.

Pour bien vous faire apprécier le degré de violence et l'atmosphère qui régnait alors, je m'interromps quelques instants, le temps d'une pause musicale. Et oui, je suis un chien mélomane comme il en existe parfois sur vos affiches publicitaires. Ecoutons donc pour commencer, Beginnings du grand Jimi Hendrix. Entendez les sons de sa guitare qui sont les reflets des nuisances sonores de ce joli mois de mai. Et ce petit solo de batterie qui est comme une marche solidaire vers l'adversaire autoritaire. Et le soutien de la basse qui ne mesure plus rien mais qui monte qui monte...

(pause)

Un peu plus tard, lorsque nous serons au coeur des cocktails fêtards et festifs, des fumées pétards et intempestives, nous reprendrons notre souffle avec le fameux Star spangled banners que Jimi sublimera à Woodstock devant les regards ébahis, les bouches bées, les oreilles étonnées des spectateurs, derniers survivants de ce festival boueux. Là, vous comprendrez mieux ce que j'ai pu subir en ce mois de mai, en ce moi de métamorphose. D'ailleurs encore aujourd'hui lorsque j'entends parler de mai, ça me fait mal. Chaque année, je ne vis pas durant son cinquième douzième. Je hais les dimanches et encore plus le premier mai. Ah ce jour maudit qui est une fête pour tout le monde – qu'a l'verre à la main – et le début d'un long calvaire tout court pour moi. Franchement, la fête du premier mai c'est quelque chose qui me travaille drôlement.

Imaginez-vous un peu, des milliers et des milliers d'humains dans Paris qui crahaputent en tout sens, se balançant par ci, s'essoufflant par là, se terrant par ailleurs, et surtout qui se rentrent dedans et qui s'en foutent plein les gueules... Déjà, en temps normal, Paris est une belle pagaille mais alors là ! Quel foutoir ! Et puis ça pisse le sang un peu partout, de telle manière qu'on a l'impression que les couchers de soleils ne sont pas les seuls qui rougoient la Seine. Et ça vole d'une rive à l'autre, car la Seine est un peu la frontière entre deux clans : Rive gauche, les gauchistes et les gauchos, Rive droite, les adroits et les droitures. Dans tout ça moi, je ne savais même plus où me planquer. Moi le chien errant, le grand aventurier des trottoirs et des avenues, le délaissé des boulevards de ceinture, j'étais complètement paumé. Bien sûr, j'aurais pu me retirer à la campagne pensez-vous, mais encore eût-il fallu que je pusse, mes puces, sortir de ce merdier. Excusez mais je ne trouve pas d'autres mots pour décrire ce désordre total. Avec toutes ces barricades, j'étais fait comme un rat. Horreur ! Prisonnier de Paname. Et je vous promets que, contrairement à ce que l'on a pu raconter à l'époque, il n' y a pas de plages sous les pavés. C'était facile à vérifier avec tous ceux que les hommes avaient démoulés. Sur une belle plage, j'aurais trouver ma place en creusant le sable et en construisant un terrier pour me cacher tranquille le temps que ça se tasse, le temps que se passe la pluie de pavés continuelle. Tous ces pavés qui volent, ce n'est pas facile à éviter pour un chien. Encore heureux que le chien est plus bas que l'homme.

(on entend au loin le son de la guitare de Jimi qui va crescendo)

Ca tombait comme des bombes, plombant les moins souples, délestant les plus saoûls, décelant les moins lestes et célestes.

(le son est au maximum)

Pourtant tous ces jeunes gens qui veulent renverser l'ordre établi sont pour la plupart pacifiques. C'est ça le paradoxe : pour avoir la paix, il faut se battre. Les pacifiés, ne pas s'y fier quand ils sont en colère contre les passifiés qui ne veulent pas de leur avenir. Alors ces jeunes agités qui veulent la paix dans le monde sont terribles quand ils agissent. Ils ressemblent aux guerriers qu'ils combattent. C'est le désordre et la nuit face à l'ordre et l'ennui. Des voitures brûlent un peu partout, pires qu'en banlieue...

Nom d'un homme, si vous voulez la paix faites-la, si vous voulez l'amour faites-le. Non. Rien à l'horizon bien lointain. La folie humaine dans toute sa splendeur.

(Jimi est furieux, il brûlerait bien sa fender)

Vraiment, ces humains sont incroyables ! Il faut toujours qu'ils se battent jusquà s'entretuer, car au bout d'un certain moment, d'une durée qui a sa limite, ils s'ennuient. Alors ils vont chercher des noises à leurs voisins et ça commence à se bastonner. Mais là, faire ça en plein printemps, quelle misère ! En pleine saison des amours ! Mort aux vaches ! que je leur crie ! Tout ce remue-ménage, qu'a-t-il réellement nettoyé ? On peut dire que ça nous l'a coupée, la chique. C'est vraiment pas chic même si c'était choc : j'avais perdu tous mes tickets. En effet, les chiennes, mes pauvres petites, restaient nichées chez elles. Elles n'osaient plus sortir le bout de leur museau. Les hommes s'en foutaient, ils avaient bien d'autres chats à fouetter, mais quand même à cause d'eux, on a connu aussi une surchauffe canine pour cause de carences calines. Les chiennes, disaient-je, avaient si chaud qu'elles en devenaient nunuches à rester couchées à la niniche. Non vraiment, quelle chienlit ce moi de mai !

CHIEN 13

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