La Truite Arc-en-ciel

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Une truite arc-en-ciel, si elle se blesse, lors d'un saut en cascades en son toboggan torrentiel, voit ses muscles striés se déchirer. Le sang coule alors et se mêle à ses reflets scintillants. Elle devient rouge sans honte. Mais l'eau vive empêche le sang de coaguler. La pauvre truite doit s'épancher sur la berge, de préférence Rive gauche, pour guérir. Pourtant le seul remède à son mal ne peut être que la mort. Alors, la truite arc-en-ciel qui est généreuse, se laissera pêcher par le premier mouchard qui patauge par là, en ces eaux pures qu'il tente de troubler le moins possible, et pourtant, il n'est vraiment pas discret avec ses cuissardes qui sentent le synthétique ou au mieux le caoutchouc, à cinq lieues à la ronde.

Ainsi donc, un bon pêcheur à la mouche n'est pas ce que l'on croit : c'est juste un pauvre gars qui a eu la chance de tomber sur une truite arc-en-ciel qui saigne sur un flanc, de préférence droit, et qui offre de bonnes protéines contractiles. C'est riche c'est bon, ça fera grandir les enfants. Vraiment, la truite Arc-en-ciel, elle est bien gentille, grâce à elle, le pêcheur à la mouche fait plus souvent mouche qu'il ne devrait et peut alors remplir de salmo, les bouches et de joie, les coeurs.

Toutefois je pense que si un pêcheur pêche à la mouche, ce n'est pas par choix mais tout simplement parce qu'il est un peu négligent ou qu'il ne pratique pas assez. Du coup, les asticots qu'il avait mis de côté pour une partie de pêche prochaine, patientent si longuement dans leur petite boîte en plastique qu'ils deviennent des mouches. Et voilà donc notre pauvre pêcheur qui, au lieu de se repentir, décide un peu contraint d'aller à la pêche à la mouche.

Pour ma part, lorsque je vais pêcher, je n'utilise ni gaule ni canne – je n'ai pas encore l'âge – ni mouches ni asticots. J'y vais comme un bon vieux chasseur, une main dans la poche de ma vareuse vaseuse, une gauloise au bec en guise de gaule, et l'autre main tenant et maintenant l'épuisette dans le dos en guise de fusil. Je sais avec des guises, on pourrait croire que je me déguise. Du tout. Je m'équipe pour être en harmonie avec mon chien. Et oui car j'emmène avec moi mon chien, non pas un chien de chasse et encore moins un chien de fusil, mais un chien de pêche. Je préfère donc à l'épagneul breton, un labrador puissant et bon nageur, grâce à ses pattes palmées – loin de Cannes – joueur mais rigoureux dans l'eau. Il avance dans n'importe quelle eau, quelle que soit sa température, sa pureté, avec une aisance et une élégance qui nous rappelle Johnny Weissmuller lorsqu'il se prend pour Tarzan. Nous pêchons de préférence en surface limpide car c'est plus pratique pour notre façon de faire, ce qui de nos jours est de plus en plus difficile à dénicher. L'eau vive et pure est aujourd'hui un véritable trésor qui suscite de plus en plus de parties de chasses. Heureusement, près de chez moi, il y a un joli trou de verdure où coule comme des jours heureux et court comme un ruisseau, un petit torrent au chant si clair que l'on voudrait s'y baigner si seulement l'eau n'était pas si froide. Sur un petit pont de bois, j'observe en silence le doux et apaisant flux aquatique et dès que j'aperçois une proie poissonnière, hop ! d'un geste ample et vif, je fais signe à mon chien de plonger le museau le premier. Il me ramène neuf fois sur dix la cible mouvante en arête : Truites, saumons, brochets, gardons, perches, ablettes, brêmes..., rien ne lui échappe sauf les poissons chats qu'il fuit comme la peste, on se demande bien pourquoi.

Il les prend si délicatement dans sa gueule, entre ses crocs qu'on dirait faits de coton, que les poissons ne sont jamais abîmés. Sauf lorsque nous tombons sur une truite arc-en-ciel. Il arrive qu'elle saigne abondamment sur le flanc droit, comme si elle s'était blessée en tombant en flèche de l'arc du ciel.

CHIEN 10

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