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22 décembre 2008

Petites morts et autres danses macabres 4

Et s'il n'en reste qu'un...


Croquis_hopital_




Ses derniers jours étaient comptés... Il le savait.

Lorsqu'il additionnait toutes ces années passées, vécues follement, il se rendait compte qu'il ne s'était pas soustrait à grand-chose. Et pourtant, dans une heure, une semaine tout au plus, il allait devoir payer l'addition. Elle était plutôt salée.

La mort a un goût amer. Forcément, à force de prendre un dernier p'tit an pour la route... Toutes ces années ont fini par baigner au fond de la bouteille et même si elles ne manquent pas de culot, elles ne sont plus que mauvaise lie. Levures mortes.

Et lui n'était plus que la trace balbutiante, prête à s'évanouir d'un instant à l'autre, le rond à peine humide laissé par le dessous d'un bock sur le formica du comptoir. Et bientôt il passera dans le cendrier qui se trouve à côté. Des cendres pour monter au ciel...

On dit que quand la mort est toute proche, on voit défiler toute sa vie en quelques secondes. Pas lui. Il bloquait sur ces 2 ans. Cette époque dorée où il essayait encore laborieusement de compter jusqu'à 2... Comme l'horizon lui paraissait grand alors ! Quelle ouverture vers l'infini de la vie ! Il pouvait encore compter sur beaucoup de choses tant il avait à apprendre.

Et toute son enfance a filé comme l'éclair... Il en arrive alors à ses vingt ans, bien loin également. Ses vingt ans... noyé dans un mauvais vin de messe, un « bleu lourd de menaces », un gros rouge pour requiem de banlieue. Le début de la fin, de sa dérive. Le jour de ses vingt ans, un jour qui dévie...

Maintenant, il n'avait plus qu'à compter les ploc du goutte à goutte qui le nourrissait, allongé sur cet étroit lit d'hôpital. Encore quelques milliers de ploc tout au plus, et on n'en parlerait plus.

Il ne regrettait pas sa vie. Car Il était fier d'avoir toujours su rester entier.

Un.

Voilà ce qu'il avait été. Un. Comme s'il n'avait pas accepté de dépasser l'horizon de ses 2 ans. Rien ne l'avait jamais divisé. Un et toujours un. Et chez lui, l'unité faisait la force. Grâce à cela, sa vigueur se multipliait d'annnées en années, jusqu'au jour où... l'UNdicible, l'UNcroyable, l'UNpossible, l'UNcompréhensible maladie avait raviné son corps et l'avait complètement lessivé. Rincé, essoré à plus de deux mille tours minute... Une vraie lavette. Il était propre, le regard perdu vers le plafond sale de cet hôpital sinistre !

Séropositif... Voilà ce qu'on avait chiffré pour lui. Un drôle de diagnostic. Mielleusement positif... car en vérité Tout était si négatif, si désespérément en dessous de zéro...

moins Un.

La maladie pernicieuse lui avait fait perdre sa belle unité classique. Il chutait.

Mais malgré tout, il avait aimé sa vie. Aucun remords, juste la mort.

Il avait simplement un petit regret. Ne pas avoir été centenaire comme son père. Ne pas pouvoir ajouter deux zéros à l'unité qu'il fut. La vie est si courte...

Et c'était pourtant bien son père qui veillait à son chevet, fier et droit comme un chêne, prêt à entonner un Pater...

et non l'inverse logique comptable.


Le dessin est d'Adrien qui a un sacré talent, trouvé sur son blog BDJ


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Commentaires
S
Merci Sandy... Ces nombres comme la fuite du temps qui est un sacré décompte...
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S
Bonjour,<br /> Un texte beau et terrible à la fois où les nombres se mêlent à la fuite de la vie.<br /> Terrible aussi de penser à ce père qui veille, en attente de l'insupportable...
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D
Un beau texte. Heureusement qu'il s'agit sans doute d'une fiction... Ce doit être terrible pour un père, de veiller son fils. "Pas chronologique" comme disait François Truffaut, dans son film "la chambre verte"...
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M
Ca va, c est pas autobiographique, tout va bien..? Chez moi deux crânes veillent, un petit dégotté dans la rue à touristes menant à Montmartre, repro des gargouilles, et un en plastoque, rigolard. Memento mori. La vie n est pas si courte, sauf si on hérite de Bouygues ou Lagardère.
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